F/O Jerome F. Levasseur. Un mystérieux destin.

— Portrait d’un pilote de planeur —

Alors que la rédaction de mon prochain livre « Winged Commandos » touche à sa fin, je vous livre le portait d’un pilote de planeur sur l’histoire duquel j’ai effectué de longues recherches mais que je ne pourrai malheureusement pas utiliser dans mon livre considérant qu’il manque trop de pièces au puzzle pour publier cette histoire. Ce faisant, je souhaite souligner le fait que la rédaction d’un livre est un moment pendant lequel alternent des phases de satisfaction intense (lorsque l’on arrive à trouver des informations jamais encore publiées) et de frustration quand il est impossible de croiser les sources et de trouver les détails permettant de retracer le destin d’un soldat malgré pléthore d’archives en ligne ouvertes et à la consultation des documents que j’ai collectés depuis 25 ans. Voici l’histoire inédite bien qu’incomplète d’un homme dont le patronyme peut laisser supposer qu’il a des origines françaises plus ou moins lointaines : Jerome Francis Levasseur.

Né le 2 avril 1914 à White Bear Lake, dans la banlieue nord-est de Minneapolis (Minnesota), il rentre dans l’armée le 6 janvier 1941 et est envoyé dans une unité d’artillerie anti-aérienne basée à camp Haan en Californie. Il saisit l’opportunité qui lui est proposée d’intégrer le programme de pilote de planeur. C’est à Victorville (Californie) qu’ il termine la dernière étape de sa formation (Advanced Glider Pilot Training) et reçoit ses G Wings le 17 janvier 1943 (class 43-2). A l’occasion d’une permission, il épouse mademoiselle Oria Johnston. Il est par la suite affecté au  434th Troop Carrier Group, 72nd Troop Carrier Squadron. L’unité est envoyée en Angleterre en octobre 1943. En juin 1944, son unité va être l’une de celles retenues pour transporter des hommes et du matériel en Normandie à l’occasion de l’opération Neptune, phase d’assaut d’Overlord. Certains pilotes vont partir à l’aube du 6 juin, lui sera de la mission du soir. Les 32 planeurs britanniques Horsa arborant l’étoile américaine de la mission Keokuk doivent transporter 165 hommes du HQ ainsi que les medics du 327th GIR de la 101st. ainsi que 40 jeeps, 6 motos, 6 canons de 57mm et environ 19 tonnes de matériels divers.  Le F/O Jerome Levasseur prend place aux commandes du Horsa n°6 de la série. Il n’a jamais volé avec son co-pilote le F/O Ernest Van Houten qui a été détaché du 438th Troop Carrier Group, 88th Troop Carrier Squadron pour compléter les effectifs du 434th. Les 32 Horsa décollent à 18h30 de l’aérodrome d’Aldermaston à destination de la LZ E à proximité de Hiesville. Pour la première fois, les alliés utilisent des planeurs pour une mission de combat diurne. Contrairement aux deux premières missions de planeurs du matin, les avions et planeurs ont un plan de vol différent pour arriver au-dessus de la Normandie. La mission Keokuk, ainsi que les suivantes, vont s’approcher de leur LZ en survolant Utah-Beach  dont les défenses sont exsangues du fait du pilonnage réalisé juste avant le débarquement. Arrivés au checkpoint  « Gallup », les planeurs au lieu de continuer en direction du checkpoint « Hoboken » bifurquent à 90° sur leur gauche en direction du checkpoint « Spokane »* puis changent de nouveau de direction, vers « Paducah » et enfin tournent pour la dernière fois en direction de leur LZ. C’est à ce moment-là que l’histoire du F/O Levasseur et de son copilote devient floue. En consultant le rapport mensuel de son escadron réalisé fin juin 1944, on découvre que son co-pilote, le F/O Ernest F. Van Houten est tout d’abord noté comme blessé. En réalité, il trouve la mort le 6 juin 1944. Le destin de Jerome Levasseur est un mystère. Les archives du Silent Wings Museum de Lubbock (Texas) indiquent qu’il est décédé le 12 avril 1991. Sa dernière adresse connue est : 117 Bald Eagle Avenue, White Bear Lake (Minnesota). 

En consultant sur place les archives du musée, un document extraordinaire va faire surface qui éclaire le parcours de Jerome Levasseur : la fiche de prisonnier provenant du camp dans lequel il a été interné. A sa libération, il a pu récupérer sa fiche d’internement. Celle-ci donne de précieux renseignements quant à son parcours. Il a été fait prisonnier par les allemands à Cherbourg le 6 juin. Cette mention est étonnante car la LZ E sur laquelle il devait se poser est située à environ 40kms à vol d’oiseau de Cherbourg. Qu’est-il arrive à son Horsa ? La corde de remorquage s’est-elle rompue ou a-t-elle été coupée par des tirs ennemis ? Quoiqu’il en soit, le Horsa n’a pu arriver seul au-dessus de Cherbourg car il n’a pas la finesse suffisante pour voler par ses propres moyens sur une telle distance. Il semblerait donc que ce soit le C-47 remorqueur qui se soit rapproché de la côte. Pour quelle raison ? Une erreur de navigation du C-47 ? Peu probable car le corridor aérien se situe à une dizaine de kilomètres plus au nord. Il fait jour et la série de 32 Horsa vole en formation, il serait donc très étonnant que le C-47 ait pu s’écarter seul du convoi aérien. Indiquant un problème technique (vibration,…), peut-être Jerome Levasseur a-t-il demandé au C-47 remorqueur de le rapprocher de la côte afin d’éviter d’amerrir. Je ne peux qu’émettre des hypothèses quant aux raisons de l’atterrissage à une telle distance de la LZ.

La fiche allemande nous renseigne aussi sur le parcours de Jerome Levasseur après son atterrissage : fait prisonnier à Cherbourg, il est emmené à Alençon puis Chartres avant d’être  incarcéré le 23 juillet 1944 au Stalag XII A situé en pleine campagne entre la ville de  Limburg an der Lahn et le village de Diez. La fiche indique  qu’il est transféré le 18 août 1944 au Kriegsgef. Lager 3 der Lw. (Kriegsgefangenen Lager 3 der Luftwaffe) situé à Sagan** en Silésie, 200kms au sud-est de Berlin. Ce camp de prisonniers dépendant de la Luftwaffe reçoit les prisonniers alliés*** affectés dans l’armée de l’air. Du fait de l’avancée des troupes soviétiques, le camp est évacué le 27 janvier 1945 et les 11000 prisonniers sont escortés jusqu’au Stalag VII-A situé à Moosburg dans le sud de la Bavière. Ce camp est libéré par des troupes américaines de la 14th Armored Division le 29 avril 1945. Jerome Levasseur est rapatrié aux USA. Pour sa participation à l’opération en Normandie, il sera décoré de l’Air Medal. Jerome Levasseur est décédé le 13 avril 1991.

En essayant de rentrer en contact avec sa famille, j’ai pu trouver des informations concernant  son fils, qui porte le même prénom, et qui s’est lui aussi battu pour son pays : le 1st Lt Jerome Levasseur affecté à la 9th Infantry Division, tué au Vietnam le 19 décembre 1967 : il avait 23 ans.


* Des balises lumineuses fixées sur des croiseurs britanniques permettent de signaler les changements de direction.

** Aujourd’hui Zagań en Pologne.

*** Une évasion organisée le 24 mars 1944 par des prisonniers de ce camp a été racontée dans le livre du pilote de chasse australien Paul Brickhill, ouvrage qui a inspiré le scénariste du film « La Grande Evasion » avec Steve Mc Queen sorti en 1963.